Comment le mieux peut-il être l’ennemi du bien en matière de technique ?

J’ai un ami qui dit souvent « mieux, ça serait moins bien » et c’est une manière « populaire » d’exprimer le fameux « le mieux est l’ennemi du bien »… Après le ratio « risques/sensations« , penchons-nous sur cette notion mystérieuse : comment le progrès technique qui rend nos machines plus performantes sur tous les plans pourrait-il aller à l’encontre notre plaisir en réduisant les sensations lors de la conduite ?

Les motos modernes sont de remarquables réussites sur bien des points : elles ne vibrent plus, elles freinent bien et leur tenue de route est souvent fantastique. Un seul problème : une fois en selle, on ne se sent pas vraiment en franche connexion avec la route tellement la partie-cycle semble capable de tout gommer !

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Val parfaitement à l’aise sur une belle R6 toute récente… Heureusement, c’était sur circuit !

Du coup, pour avoir l’impression de ressentir quelque chose, on a tendance à aller vite, souvent trop vite, pour compenser en quelque sorte. Le problème avec la vitesse (en dehors de l’aspect légal bien connu), c’est qu’elle aggrave tout : vous arrivez vite sur l’obstacle, sur la situation imprévue (toujours) et si le pire arrive (la chute, l’accident), la vitesse augmente les conséquences physiques douloureuses (on glisse plus longtemps sur le bitume quand on chute à 150 km/h qu’à 50 km/h…). Tout cela parait sans doute évident mais je crois tout de même utile de le rappeler. Donc, oui, les motos actuelles permettent effectivement de rouler vite tout en étant encore loin de la perte de contrôle qui serait dû à une partie-cycle dépassée par la puissance du moteur et du rythme imposé par son pilote.

Pendant longtemps, les motos sont restées très perfectibles sur le plan de la tenue de route, les machines Japonaises surtout. Il était de notoriété publique que la 500 Honda de Mike Hailwood était aussi puissante que peu stable.

La fameuse Honda 500 de 1967 : 90 Ch quand même !

Plus tard, les Kawasaki 900 Z1 étaient elles aussi réputées pour leur puissance et pour leur tendance à se tordre sous l’effort !

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La 900 Z1 dans toute sa gloire : jolie, rapide mais perfectible !

Depuis lors, de nombreux progrès importants ont été réalisés dans tous les domaines. Ces progrès sont particulièrement spectaculaires du côté des freins. Car ils sont longtemps resté le point faible de nos machines. Même les motos de GP des années 70 freinaient mal. Quand Alan Cathcart a testé la Suzuki 500 de Barry Sheene, celle de 1975 avec laquelle il gagna le GP de Hollande devant Ago (une course vraiment mémorable), Alan fut vraiment surpris de constater combien les freins étaient médiocres.

La fameuse Suzuki RG500 XR14 de Barry Sheene, celle de 1975 parfaitement restaurée ! Les freins semblent beaux mais sont aussi très peu efficaces…

Tout cela est désormais loin derrière nous. Les freins d’aujourd’hui ont le mordant, la puissance et l’endurance que ni Sheene ni Ago ni Read n’auraient pu rêver lors de leurs affrontements d’antan… Et, avec l’ABS en plus, on peut s’en servir franchement sans craindre de se mettre en danger. Si ça ce n’est pas un progrès, alors, je ne vois pas !

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Sur ma Z1000, j’ai pu remplacer les pinces d’origines plutôt paresseuses par des étriers 4 pistons qui offrent un mordant incomparablement meilleur !

Avoir une moto qui freine, ce n’est pas seulement mieux, c’est nécessaire !
Pareil pour des pneus dont on peut avoir confiance, surtout sur surface glissante. Mais après ?

Veut-on vraiment une partie cycle si sophistiquée qu’on ne sent plus rien quand on est à son guidon ?
Je préfère nettement une moto qui va beaucoup bouger dans sa zone d’inconfort et qui va donc m’inciter à rendre la main plutôt qu’une machine imperturbable qui va me pousser à tracer fort quelles que soient les conditions. Bien entendu, j’ai conscience que cette position ne va pas être du goût de tous. Je ne suis pas en train de nier les apports du progrès, je veux simplement faire le tri entre le progrès positif (celui qui augmente ma sécurité ET mon plaisir) et celui qui me pousse à aller trop loin (celui qui gomme les sensations dont détruit mon plaisir et ma sécurité au bout du compte).

Ce qui est intéressant et significatif, à mon avis, c’est qu’on assiste au même type d’évolution du côté automobile. J’ai eu ma première Porsche en 2000, une 911 type 993, le dernier des modèles équipés du flat 6 à air. Cette voiture était fantastique et j’aurais mieux fait de la garder. Aujourd’hui, j’ai une Porsche Cayman (la petite) et, sur bien des points, elle est techniquement très supérieur à mon ancienne 911 : elle tient mieux la route, entre autres. Mais je ne peux que regretter ma Carrera avec son moteur à refroidissement par air qui diffusait sa chanson métallique avec un enthousiasme communicatif !

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Ma 911 Carrera type 993 : le flat six à air, c’était le bon temps !

La tenue de route était plus approximative mais, en fait, je préférais cela : la Cayman est bien plus précise mais bien moins « joueuse » également. L’apport en performance ne m’apporte rien en fait, c’est même plutôt une régression. Comme quoi, une fois de plus, le mieux est l’ennemi du bien, hélas.

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Ma Cayman d’aujourd’hui : bien meilleure sur le papier sur tous les plans… Sauf au volant où c’est bof en fait !

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