Tout d’abord, en introduction, je dois reproduire ici un article que j’avais publié sur mon blog principal le 07/09/2011, c’est-à-dire bien avant d’écrire « Freedom Machine« …
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Qu’est-il arrivé à Moto-Journal ?
Avec mon livre « Cette révolte qui ne viendra pas » j’explique dans la 3ème partie de cet ouvrage que le niveau général (intellectuel, culturel et de conscience des responsabilités qu’implique la vie en société) des citoyens s’est effondré. Bien entendu, une telle assertion est toujours difficile à prouver même si on en a de nombreuses traces, certaines étant même très concrètes (comme le niveau de l’expression écrite).
Pourtant, quelquefois, on peut mettre la main sur un exemple éclairant qui illustre votre propos mieux qu’une preuve formelle pourrait le faire… Et cet exemple, je crois l’avoir avec l’évolution de Moto-Journal à travers les dernières décennies.
Contrairement à ce qui est écrit partout, Pierre Barret n’a pas créé Moto-journal, il a plutôt racheté ce « auto-moto journal » qui était en perte de vitesse pour en faire un rude concurrent de Moto Revue (un autre magazine consacré à la moto, mais qui est beaucoup plus ancien et qui était également beaucoup plus « traditionnel » que l’était Moto-Journal). Moto Journal, qui a vu le jour 14 janvier 1971, s’appelait à l’origine Auto Moto, et ce jusqu’au numéro 40 du 28 octobre 1971. Il s’est ensuite appelé Auto Moto Journal du n° 41 du 4 novembre 71 au n° 44 du 25 novembre 71.
Un référendum eut alors lieu auprès des lecteurs, Moto Journal souhaitant choisir une orientation exclusive vers la voiture ou la moto. La moto fut choisie et c’est à partir du numéro 46 du 9 décembre 1971 que Moto Journal porta enfin ce nom.
Pierre Barret était précédemment Directeur de l’Express et JJSS avait voulu reprendre les rênes de ce journal (si l’acronyme JJSS ne vous dit rien, allez donc voir la bio de ce « trublion » des années 60 & 70 de l’ancienne France à http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Jacques_Servan-Schreiber).
Barret n’était pas le seul artisan de la transformation/renaissance de Moto-Journal qui doit également beaucoup à Guido Bettiol et Jacques Bussillet (ce dernier est venu un peu plus tard).
Moto-Journal des années 70 et même 80 n’était pas un magazine sur la moto comme les autres. Certes, le contenu éditorial était centré sur les deux-roues à moteur, mais ce n’était pas simplement une revue pour motards crasseux et plutôt bourrins sur les bords, au contraire !
Moto-Journal, à travers son contenu et son ton s’efforçait systématiquement de remonter le niveau de son lectorat. Les essais des machines de route ne se contentaient pas d’énumérer bêtement les caractéristiques techniques et le comportement des motos testées semaine après semaine, les journalistes tentaient (souvent avec réussite) d’en extraire l’âme et d’en comprendre le mode d’emploi le plus approprié (ce qui n’était pas toujours évident, car les motos de cette époque bénie n’étaient pas aussi « domestiquées » qu’aujourd’hui…).
Les reportages sur les Grand-Prix moto étaient du même tonneau : il ne s’agissait pas seulement de descriptions factuelles des courses, mais bien de nous faire partager l’épopée des champions, l’ambiance des paddocks et l’évolution des compétitions, tout cela sans jamais se départir d’un esprit critique aiguë, signe certain d’une saine lucidité. Et ainsi de suite, chaque rubrique de l’hebdomadaire avait sa personnalité et son originalité le tout en phase avec l’esprit militant du magazine : toute la moto, certes, mais pas n’importe comment !
J’étais adolescent à l’époque où j’ai découvert (grâce à ma sœur aînée) Moto-Journal que j’achetais religieusement chaque jeudi (j’allais le chercher en vélo à la librairie de ma résidence) et il était clair que je me sentais traité comme un adulte (que je n’étais pas encore) responsable en lisant ses pages. Mieux, son ouverture sur le monde dépassait largement le milieu motocycliste (ce que n’a jamais su faire la concurrence de l’époque et surtout pas Moto-Revue qui me paraissait toujours terriblement ringard à côté du pétillant MJ !) et, avec et grâce à Moto-Journal, on pouvait découvrir les États-Unis (à l’occasion des 200 Miles de Daytona) ou le Japon (à l’occasion d’une visite aux constructeurs ou du salon de Tokyo), entre autres.
Bref, pour moi, MJ était LE magazine qui m’a permis de forger mon esprit critique et même ma première conscience politique à une époque où la France se remettait encore péniblement de l’après mai-68. Lire MJ ne vous classait pas dans la catégorie « bourrin sans cervelle et plein de cambouis » et vous pouviez ainsi discuter d’égal à égal avec les lycéens évolués qui s’affichaient avec « Libération », du moins jusqu’à la fin des années quatre-vingt…
Et après, que s’est-il passé ?
C’est là que ça devient intéressant, car le Moto-Journal d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui du trio des trois B (Barret, Bettiol & Bussillet). De nos jours, MJ n’est plus qu’un magazine comme les autres et il se contente d’un contenu bas de gamme tout à fait en phase avec l’image peu reluisante qu’on peut se faire des motards quand on voit comment certains se comportent sur la route (attention, pas de généralité, certains se conduisent comme des bourrins et nuisent gravement à l’image des motards, mais la plupart des propriétaires de motos sont des conducteurs responsables, bien mieux que bien des automobilistes !).
La bascule s’est produite dans les années quatre-vingt-dix même s’il est difficile de pointer une année précise. Moto-Journal a changé de cap, changé de ligne éditoriale et a renoncé à vouloir hausser le niveau de son lectorat. Au contraire, place à la beauferie la plus éhontée puisque ça fait vendre !
Donc, j’affirme que cette bascule de Moto-Journal est significative, que dis-je, emblématique de l’évolution de la société tout entière : alors que dans les années soixante-dix, on trouvait encore normal (voire astucieux) de prôner un positionnement haut de gamme même pour une cible comme les motards, dans les années quatre-vingt-dix, il est clair que seul la beauferie est un choix acceptable, tant sur le plan marketing qu’éditorial…
Détail amusant, l’Express cher à notre JJSS a suivi le même chemin !
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Cet article a été très consulté (preuve de l’intérêt du sujet par des motards/lecteurs nostalgiques, comme moi) et voici le commentaire le plus intéressant (car il apportait une information que je n’avais pas…) :
En fait, vers le milieu des années 80 ou peut-être un peu après, MJ a été vendu à un groupe de presse allemand. Et puis, pas mal de monde avait changé, entre les anciens qui avaient disparu ou étaient partis (dont une bonne partie à cause de la revente), des jeunes qui étaient arrivés et, fatalement, n’avaient pas le profil passionné post-soixante-huitard de leurs anciens, mais plutôt diplômés d’écoles de journalisme et motard de base, voire même peu motard à la base, plus des gars qui n’avaient pas réussi à trouver un boulot de journaleux dans un titre ou un média plus « prestigieux » (les critères de recrutements des nouveaux proprios…), bref, l’exception culturelle Française motarde avait vécu.
La question brûlante, désormais, c’est « peut-on trouver un digne successeur à Moto-Journal dans la presse actuelle ? ». Dans un premier temps, j’aurais été tenté de répondre « non ». Moto-Revue est un bon titre (sans doute le meilleur dans la catégorie « généraliste »), mais sans le petit plus au niveau de l’esprit qui faisait tout le charme et l’intérêt de MJ. Et puis, un ami m’a passé ses exemplaires récents de Moto Magazine (il est abonné à ce mensuel).
L’intérêt de ce mensuel, c’est qu’il n’est pas du genre « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » (comme le célèbre film de Jean Yanne) : il n’hésite pas à dire les choses crûment quand il le faut. Exemple : dans son numéro hors série « tendance rétro 2015 », Moto Magazine dénonce les excès de la mode « branchée » qui sévit actuellement sur la vague moto classique. Je ne peux qu’être 100% d’accord dans la mesure où je trouve cette tendance absolument ridicule.
Ce n’est pas tout !
Dans son numéro 326, on trouve un reportage incroyable de « Ptitluc » : les combattants russes de la panne fortuite. Il y a tout dans ce reportage : aventure (la vraie !), ton juste, réflexions (juste également) sur l’évolution de la notion de solidarité motarde, images dépaysantes et ainsi de suite. Oui, ce reportage est tout à fait digne du MJ de la grande époque.
Moto Magazine ne traite pas trop les événements sportifs genre MotoGP et il a bien raison : mieux vaut laisser cela aux vrais spécialistes comme Sport-Bikes (encore une pépite à découvrir si ce n’est déjà fait !). Donc, oui, je crois que nous tenons un bon candidat à la succession de MJ, croisons les doigts pour que l’équipe de Moto Magazine continue avec le même esprit, on continuera à les lire avec le même plaisir !
Je suis en train de faire un peu d’archéologie afin d’établir avec précision à partir de quelle année MJ a basculé dans la beauferie… C’est un travail un peu long et je n’en suis qu’au début mais je peux déjà dire que le point de bascule se situe entre 1986 et 1993 (en 93, c’était déjà fait…).
Je continue mon enquête et je dois dire que l’examen des numéros de MJ de 1993 est édifiant : il suffit de voir que, dans le numéro 1069, la rédaction cru bon de faire appel à une voyante pour prévoir les évolutions du marché pour l’année à venir (véridique !).
Bien entendu, certains lecteurs ont réagi : « votre voyante, je ne peux plus la voir « . La rédaction s’est défendue mollement, sans même vraiment s’excuser en ajoutant même « MJ n’a pas été racheté par France Dimanche »… ah bon ?
Autre élément de preuve à verser au dossier (comme quoi MJ avait déjà franchement basculé du mauvais côté en 1993) : la couverture du numéro 1094.
On y voit le pilote en action sur la Ducati Monster la clop au bec… Révoltant !
On peut déjà pointer un nom dans la liste des coupables : Michel Bidault. Ce triste individu y tenait la rubrique « revue de presse » dans le MJ de l’époque. Une désolante collection de faits déformés pour tenter de faire de l’humour de comptoir… Lamentable.
Analyse tout à fait pertinente que je partage entièrement