Je suis souvent interrogé par des journalistes mais aussi des étudiants sur le sujet « réseaux sociaux » suite à mes livres, bien entendu.
Je répond bien volontiers, y compris quand c’est dans un cadre « non-public » (c’est-à-dire qui n’est pas destiné à être publié). Or, mercredi dernier, j’ai été interrogé par Sandrine CAMPESE (Diplômée de Science Po Aix et titulaire d’un Master II « Communication Politique et Sociale » à Paris I – La Sorbonne) pour un mémoire qu’elle prépare sur le sujet « réseaux sociaux et utilisation par les politiques. Sandrine ayant eu la délicatesse de m’envoyer la transcription de cet « interview » (qui a été réalisé via Skype), je me suis dit que je pouvais aussi vous en faire « profiter »…
Attention : certaines de mes réponses pourront paraitre âpres mais c’était dans le feu de la conversation… Il faut replacer cela dans le contexte et je suis prêt à expliquer mes prises de positions si nécessaire.
INTERVIEW ALAIN LEFEBVRE
MERCREDI 5 NOVEMBRE
PAR SKYPE.
Quand avez –vous créé votre profil sur Facebook ?
J’ai créé mon profil au printemps 2007, au moment où Facebook commençait à prendre de l’ampleur.
Avez-vous une sensibilité politique ?
Je ne suis pas du tout politisé, et j’ai même du mal à comprendre comment on peut s’y intéresser. Je trouve que le miroir dans lequel se reflète notre monde est très moche. Il n’y a pas de sincérité, ni d’efficacité, pas de fond, rien ! La classe politique donne l’illusion d’avoir du pouvoir, d’avoir la main sur la société, alors que le vrai pouvoir est économique.
Dans votre dernier ouvrage, vous évoquez l’intérêt des réseaux sociaux, notamment au niveau professionnel. Avez-vous eu l’occasion de réfléchir à leur utilisation politique ?
Dans la première édition de mon livre, j’avais évoqué les pratiques des élections présidentielles de 2004 aux Etats-Unis. Un site de réseau social, spécialisé dans les rencontres, MeetUp, avait été très utilisé par un candidat aux primaires, Howard Dean. Cela avait contribué à le faire connaître, puisque tous les militants de son bord l’avaient systématiquement utilisé.
Que pensez-vous des politiques français qui rejoignent en masse le réseau Facebook ?
Quand on est une personnalité publique, de surcroit politique, il faut savoir gérer son identité numérique, et cela passe par les réseaux sociaux. Il est nécessaire de créer un profil sur Facebook ne serait-ce que pour faire disparaître les « fake ». Il vaut mieux préempter son propre espace plutôt que de le laisser en jachère à des malveillants.
Sur les réseaux sociaux, la politique, c’est comme la guerre ou l’espionnage. On est dans l’action, mais aussi dans la contre-action. Si je voulais nuire à un candidat, je créerais le « fake » le plus crédible possible !
Selon vous, est-il important, pour un homme politique, d’avoir beaucoup d’ « amis » ?
Je pense que plus anecdotique qu’autre chose. Le nombre d’amis n’intéressent que ce qui n’ont pas bien saisi le fonctionnement du système. Ce qui compte, c’est la présence réelle de l’homme politique sur le réseau : tient-il ses contacts au courant de son activité, met-il à jour son statut, etc ? L’effet positif, à court ou moyen terme : c’est la transparence. En utilisant Facebook comme un vecteur de communication auprès des jeunes, l’homme politique se rend accessible.
Comment un homme politique peut-il maximiser son utilisation d’Internet ?
Les politiques ont toujours été terriblement maladroits dans leur utilisation du net au sens large, et ce avant même l’apparition des réseaux sociaux. On a pu observer que, dans le meilleur des cas, leurs sites étaient travaillés sur l’aspect visuel mais très médiocres sur le fond.
Or, lorsqu’un site web n’est pas régulièrement mis à jour, lorsque le contact indiqué n’est pas valable, lorsqu’on n’obtient pas de réponse après avoir envoyé un message ou posté un commentaire, alors ce site est disqualifiant pour celui qui l’a créé ! Mieux vaut ne pas être présent sur le net que l’être de cette manière !
Justement, quel conseil donneriez-vous à un politique pour bien utiliser le réseau Facebook ?
Je lui conseillerai de commencer par bien utiliser Facebook, et de ne pas s’éparpiller sur tous les réseaux !
En communication, la règle d’or, c’est d’utiliser peu d’outils internet, mais de bien les utiliser. Par exemple, si on a seulement le temps d’envoyer des mails, eh bien on n’utilisera que des mails. De la même façon, on peut n’utiliser que Twitter, si on n’a pas le temps de poster sur un forum. Sur Facebook, je considère que le minimum qu’un homme politique peut faire, c’est actualiser son statut.
Autre conseil : refuser systématiquement toutes les « mini-applications ». Un profil qui en est truffé, ça ne fait pas sérieux et on tombe dans le « gadget ».
Les réseaux sociaux vont –ils prendre la place des blogs ?
La réponse classique consiste à dire que les blogs et les réseaux sociaux sont complémentaires : l’un ne remplace pas l’autre, il faut avoir les deux.
En vérité, il ne faut avoir que ce dont on se sert. Ce que les gens oublient parfois, c’est que tout ce qui est fait sur Internet a un impact soit positif, soit négatif, mais jamais neutre. Donc oui pour avoir un blog, mais s’il n’est pas entretenu, c’est négatif ! Oui pour être présent sur les réseaux sociaux, mais si on n’est pas disponible, si on ne répond pas aux sollicitations, c’est négatif ! Internet n’est qu’une loupe grossissante des qualités mais aussi des défauts de chacun.
Vous avez choisi de parler des réseaux sociaux parce que c’est la mode en ce moment. Cela ne veut pas forcément dire que c’est le meilleur dispositif à utiliser.
Quel est l’intérêt de Facebook par rapport aux blogs ?
Il y a plus de monde sur Facebook. De plus, le blog demande du suivi, un effort de lecture, plus d’investissement. Les réseaux sociaux permettent d’accéder à plus de monde, plus facilement, et la rentabilité des efforts est plus grande. Mais on peut aussi créer un blog sur Facebook et publier des articles.
Quelles sont, selon vous, les limites des réseaux sociaux comme Facebook ?
Il ne faut pas oublier que le fond vient de l’utilisateur, jamais de l’outil. Un blog où sont publiées des choses sans intérêt ne marchera pas ! De la même façon, Ségolène Royal aura beau utiliser n’importe quel outil du web, elle restera « nunuche ».
Peut-on imaginer qu’un candidat créé son propre réseau social dans une perspective électorale ?
Oui, bien sûr, mais ça me paraît plus intéressant d’aller chercher les gens où ils sont. Je leur conseillerais d’aller simplement sur Facebook plutôt que d’essayer d’orienter l’audience sur un service particulier. Tout ce travail de mobilisation doit être fait de façon intelligente, subtile…
Croyez-vous qu’Internet puisse devenir un cinquième pouvoir ?
Je ne crois pas trop à cette idée de « cinquième pouvoir ». Il y a 5 ans, beaucoup ont dit que le Web 2, participatif allait changer les choses, revitaliser la démocratie, la participation. Or l’échec a été total.
Quand on regarde de plus près les sites participatifs, on ne peut que remarquer la vacuité des débats, la nullité des échanges, les torrents de boue publiés sur Agoravox ! Certes on y trouve quelques très bons articles publiés par des amateurs éclairés. Mais quand on lit les commentaires qui suivent, on est effondré. C’est déprimant, cette armée de trolls qui met des commentaires absurdes sans même avoir lu l’article. Et c’est cela qu’on appelle « participation » ?
Internet a permis au plus grand nombre de s’exprimer et a démontré dans le même temps, que le plus grand nombre ne valait pas grand-chose ! C’est la règle des 80-20 (cf le nombre de Pareto). Il n’y a rien à attendre de la masse. Internet ne redonnera pas gout de la politique au citoyen. Depuis 5 ans, le niveau moyen intellectuel, culturel, s’effondre complètement. Tout ça à cause de la manipulation globale organisée par les média et leur rôle d’abrutissement généralisé. Les hommes politiques devraient dire : « arrêtez de consommer des médias ! », mais ils ne peuvent pas, puisqu’ils en ont eux-mêmes besoin.
Etes-vous d’accord pour dire que le règne de l’opinion a remplacé celui de la connaissance ?
Le règne de l’opinion, c’est désastreux. On est passé d’une petite oligarchie d’experts et d’universitaires verrouillant l’accès à la connaissance, à un système où n’importe quel « crétin » peut s’exprimer au même rang que quelqu’un de censé. Le retour de balancier est trop fort. Le problème du village global, c’est l’idiot du village global ! Or, ils sont plus nombreux que ce qu’on avait supposé au départ.
Le mot de la fin ?
En résumé, Facebook c’est bien, parce que c’est à la mode et que c’est un outil de diffusion rapide qui permet de rassembler et d’offrir le meilleur retour sur investissement. Mais Facebook ne fait pas de miracle et il faut se méfier de ses effets négatifs !
Interviewer par la belle et talentueuse Sandrine CAMPESE, cher Alain Lefebvre quelle chance!!!
Votre blog déjà passionnant voit ici un rayon de lumière et de beauté!
Bonjour,
j’ai tenté de prendre contact avec vous via votre adresse 6nergies.net mais, à priori, elle n’est plus active !
La lecture de votre livre sur les réseaux sociaux m’a particulièrement intéressé et il serait intéressant pour moi d’avoir votre avis d’expert sur l’évolution de ce phénomène de société.
Auriez-vous l’obligeance de m’indiquer par quel moyen je peux vous contacter ?
Cordialement
Fabrice Szegedi / Ste Leyio