Cela m’arrive rarement d’écrire des nouvelles (récits courts) mais j’ai eu l’idée de celle-ci et je voulais vous en faire « profiter »… (déjà publiée le 20 janvier 2008 sur mon ex-bog Viabloga)
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L’homme le plus riche du monde
Bernard avait quelque chose de plus que les autres : son ange gardien venait le visiter périodiquement. Cet esprit répondait à ses questions, tout au moins partiellement.
Bernard revenait toujours sur la même interrogation : serais-je riche plus tard ?
– Oui, tu seras un homme riche, très riche même.
Cette réponse le remplissait de joie et décuplait son énergie à gravir les échelons.
Ayant un peu avancé dans la vie, Bernard devenait plus exigeant avec son ange.
Il voulait une réponse précise à son leitmotiv et insistait lourdement.
– Tu m’as toujours dit que je serais riche mais quand et comment ?
– Je ne vais pas te faire un parcours fléché tout de même. C’est à toi de faire ta vie. Je peux juste te donner quelques indications. Tu seras riche, c’est certain, mais ne sois pas si empressé.
Bernard voulait avoir le fin mot de l’histoire. Il était impatient de savoir quand ce serait le cas : être riche, enfin !
Il en était au point où il pouvait commencer à faire un premier bilan : il avait assez bien réussi son parcours jusque-là mais il n’avait pas vraiment atteint l’objectif promis. Riche oui mais seulement un peu. Il voulait plus.
– Ecoute, je ne peux pas, je ne dois pas te donner les éléments précis. Mais je peux t’assurer que tu seras effectivement un homme très riche. Et je peux même te dire que tu seras l’homme le plus riche du monde.
– Le plus riche du monde ? Waow, c’est formidable !
– Mais… comment vais-je y parvenir ? J’ai déjà 40 ans et je vois mal comment je pourrais encore progresser.
– Ne te soucie pas de cela. En revanche, tu devrais plutôt t’inquiéter du monde qui t’entoure plutôt que de ta fortune personnelle.
Car Bernard était aussi égoïste qu’ambitieux. Entièrement focalisé sur sa réussite, il avait perdu de vue sa famille et ses amis. Il avait « réussi » comme on dit mais en dehors de ces affaires professionnelles, sa vie était vide.
Et pourtant, ce vide, Bernard ne le ressentait pas.
Au contraire, la révélation de l’ange agissait comme un boost incroyable : « le plus riche du monde… le plus riche du monde »… C’était encore bien mieux que tout ce qu’il n’avait jamais espéré pensait-il !
Avec cette énergie renouvelée, il se consacra encore plus à l’achèvement de son but. Il ne voyait plus rien ni personne.
Le monde se dégradait autour de lui, ces amis mourraient, et lui se contentait de chercher à accumuler et passait le plus clair de son temps à aligner de longues rangées de chiffres dont il se délectait goulûment.
Pendant ce temps, la Terre traversait une crise majeure. Le conflit des civilisations tant redouté avait finalement eu lieu.
Les « puissances » avaient cru jouer un coup de maître en retenant leurs missiles et en diffusant chez « l’ennemi » poisons subtils et virus mutants.
Cette guerre silencieuse avait eu des résultats dévastateurs : on ne comptait plus les morts, on se contentait d’essayer de rester vivant.
Bernard finit par se rendre à l’évidence : le monde qu’il avait connu n’existait plus. Autour de lui, il n’y avait que désolation.
Au milieu de sa stupeur, son ange fit une dernière apparition.
– Alors, content ?
– Comment peux-tu me dire cela ? C’est affreux, c’est la fin du monde !
– C’est bien ce que tu voulais pourtant, non ?
– Jamais je n’ai demandé une chose pareille !
– Cependant, tu as atteint ton but.
– Que veux-tu dire ?
Bernard sentait une sourde inquiétude monter en lui, comme si l’horreur de la situation pouvait cacher quelque chose de pire encore. Cela ne suffisait pas de constater que son monde était perdu à jamais, l’ange semblait lui dire qu’il en était responsable.
– Tu voulais être riche, tu l’es. Réjouis-toi ! Tu es même l’homme le plus riche du monde, vraiment le plus riche car il en reste tellement peu !
Je t’avais prévenu mais tu n’a pas voulu m’écouter. Je t’avais dit de te préoccuper du monde plutôt que de ta richesse mais tu as préféré courir après un mirage. Maintenant, tu vas vivre seul. Tu es assis sur ton tas d’Or et tu vas t’apercevoir qu’il ne te sert à rien si tu ne peux pas le partager avec d’autres, avec tes proches, ta famille ou tes amis.
Tout d’un coup, Bernard compris. Il saisit que le plan de l’ange était parfaitement clair depuis le début. Il réalisa aussi que, du fait de son orgueil et de son égocentrisme forcenés, il avait été choisit.
Submergé par une vague écrasante de culpabilité, il était finalement parvenu à accepter brutalement puis enfin modestement sa responsabilité.
Observant cette attitude de repentance avérée, l’ange fit tourner ses doigts et Bernard s’endormit profondément.
Quand il se réveilla, tout était différent : il était plus jeune, sa femme était à ses côtés et le monde éclatait de vie. Tout était différent sauf son souvenir.
Ce souvenir lancinant et accablant persistait comme ayant été bien réel, pareil à un piège infernal et sournois prêt à ressurgir à n’importe quel moment.
Bernard savait que cette réminiscence ne l’abandonnerait pas, qu’elle serait un avertissement toujours présent.
– Cette fois, c’est différent dit-il d’un ton confiant et résolu. Je sais aujourd’hui ce qui a de la valeur. Je le sais vraiment.