En relisant quelques exemplaires de ma collection de Moto Journal, je m’aperçois que, au fil des essais et des années, il y a un débat qui revient régulièrement dans ces pages et qui n’a jamais été tranché (par les essayeurs de cet hebdomadaire) : vaut-il mieux une moto de grosse cylindrée (puissante mais lourde) ou une moto plus légère (mais qui va être agile) ?
Ce débat existe encore aujourd’hui même si les motos moyennes de notre époque ont tendance à prendre du poids de façon inquiétante (des 350 qui pèse 200 kgs, j’aurais jamais cru cela possible !). Ce matin, nouvelle sortie et nouvelle occasion d’évaluer cette question car, pour une fois, je laissais ma Z1000 et ma XS750 dans mon hangar afin de me concentrer sur ma Honda CB500 (faut bien qu’elle roule elle aussi !).
Je sors la moto assez tôt (8H30) afin de profiter de la température encore relativement clémente (24° environ), ça compte en ce moment. La CB démarre du premier coup, contente qu’on se penche enfin sur elle !
Je m’équipe (all the gears, all the time) et je choisis un casque que j’utilise rarement : le Shark Nano (qui va confirmer à cette occasion ce que je pense : cela pu être un casque tout à fait excellent mais le verrouillage de la visière est trop fragile…).
Dès les premiers tours de roues, je réalise (ce que j’avais un peu oublié) que cette moto a un avantage énorme sur les deux autres (la Z1000 et la XS750) : sa légèreté.
Voilà pourquoi il y a une telle différence entre une « grosse moto » et une moto plus petite. La petite va compenser largement son manque de puissance par une agilité bien supérieure mais nous ne sommes pas bien « câblés » en tenir compte à sa juste valeur : nous avons tendance à nous focaliser sur la puissance moteur et la manière dont elle est délivrée car c’est là que se situe la plus grande réserve de sensations… Or, nous roulons à moto précisément pour les sensations !
Donc, pour apprécier l’agilité et ce qu’elle apporte à la performance et à l’agrément de conduite, il faut rouler en « appuyant » un peu… Quand on roule pépère, la différence en faveur de l’agilité s’amenuise, forcément. Or, rouler de façon appuyée, ça ne peut se faire que lors d’un « track day » sur circuit. Lors de notre stage à Carole, je n’avais aucune difficulté à maintenir une grosse 1000 Suzuki derrière ma plus modeste Honda 600 CBR justement grâce à cet avantage d’agilité qui était déterminant sur un circuit relativement court comme Carole…
Je prends la nouvelle route que j’avais repérée auparavant et la magie opère à plein : la route est ombragée, la température est agréable, j’ai le vent qui rend mon blouson supportable dès 100 km/h, tout va bien.
La différence avec un trajet en voiture me saute aux yeux encore plus que d’habitude : alors qu’au volant, on cherche à « effacer » la route pour « passer à autre chose le plus vite possible » (on ne prend pas le volant pour se balader mais pour remplir un but, comme aller ravitailler par exemple), la moto au contraire t’incite à « parcourir pour de bon » le chemin. Rouler à moto est une puissante incitation à être dans l’instant présent pour de vrai, en immersion totale.
Or, être dans « l’instant présent » est ce qui peut nous arriver de mieux au quotidien. Quand je suis dans l’instant présent (quand j’y suis vraiment), je suis heureux, rien de négatif ne peut m’arriver et je savoure la moindre sensation complètement, totalement.
Du coup, les sens sont en éveil et on se surprend à percevoir des éléments qui seraient passés inaperçus autrement. Ici, c’est l’odeur de foin coupé, un peu plus loin, c’est une trace d’humidité qui signale que le champ d’à côté est en train d’être arrosé. D’ailleurs, en passant, tu peux sentir si l’agriculteur s’est contenté d’utiliser de l’eau basique ou s’il a ajouté un peu d’engrais à cette eau… tu le sens, tu le sais.
Je serpente sur cette route qui se révèle encore plus intéressante et agréable que ce que j’en supposais en la traçant sur Gmaps… Même si la CB500 m’incite à « ouvrir » et aller dans les hauts régimes, je me contente d’enrouler tranquillement, appréciant chaque virage (le coup de gaz pour s’en sortir au mieux après avoir placé la moto au centimètre près, c’est tout à fait jouissif), chaque montée, chaque descente, attentif à « lire » la route pour ne pas me faire surprendre par une plaque d’humidité ou des gravillons (y a les deux pile dans un virage bien ombragé pour que tu ne puisse les voir !). J’arrive à un croisement où s’affairent des gendarmes : deux camionnettes se sont percutées (pas de blessés apparemment) et ils s’occupent de remettre la route en circulation. Au signal du pandore, je passe et continue ma route. J’arrive enfin à Grosbreuil et, à partir de là, c’est ma boucle de retour habituelle.
Une fois dans mon hangar, je défais mon casque et mon blouson avec une grande satisfaction : j’ai adoré cette sortie. A cette occasion, la CB500 s’est grandement revalorisée. Certes, elle ne t’offrira jamais le « grunt » de la Z1000 quand tu ouvres les gaz à bas régime et que le moteur gronde en déroulant son couple (j’adore cette sensation !) mais cette moto se manie quasiment comme un vélo (et donc t’offre la sensation de liberté que tu peux ressentir au guidon d’un vélo) et ça, c’est totalement inaccessible à la Z1000 à cause de son poids et de sa longueur.
Que faut-il préférer ?
En fait, les deux sont des plaisirs différents et il n’y en a pas un supérieur à l’autre. Il faut pouvoir apprécier les deux en fonction de l’humeur et des circonstances. La moto est comme la gastronomie : ce n’est pas un plat unique mais une variété de saveurs qui permet de ne jamais se lasser.