Netflix vient de mettre en ligne une série en 6 épisodes sur le célébrissime pilote Ayrton Senna da Silva. J’ai bien sûr regardé intégralement les six épisodes (plus le making-of) et voici mon avis personnel, complètement subjectif, sur cette série…
Pour commencer, je vous propose une traduction/adaptation de l’article du magazine Motorsport (article à retrouver en version originale à Senna Netflix review: New series sugar-coats F1 legend’s story – Motor Sport Magazine) justement à propos de cette série qu’ils ont pu voir en avant-première…
===
La nouvelle série Netflix Senna tente d’élever sa légende de la F1, en essayant d’éviter les éléments les plus délicats de son personnage.
L’histoire d’Ayrton Senna, considéré par beaucoup comme le plus grand pilote de F1 de tous les temps, doit-elle encore être mythifiée ?
Apparemment, selon un biopic Netflix récemment publié portant son nom, c’est le cas. Grâce à l’immense succès de Drive to survive et précédant Brad Pitt de l’année prochaine F1 film, vient Senna – un portrait fictif de la vie de Senna depuis ses débuts en karting jusqu’à sa mort.
Ce projet a été porté par la famille de la défunte star et le studio portugais Gullane, suivant une approche multilingue relativement nouvelle adoptée par Netflix. Senna comporte de grands passages en anglais, mais encore plus en portugais, ajoutant de la texture et de la couleur à la série.
En commençant par ce qui est bien dans la production, le spectacle est assez immersif. Au cours de six épisodes, une énorme quantité de détails est couverte, y compris ses débuts en Formule Ford et en F3 lorsqu’il vivait à Norfolk (la région la plus plate du Royaume-Uni qui semble étrangement montagneuse dans cette représentation).
Des épisodes tels que Senna conduisant son moteur jusqu’en Italie pour le rafraîchir avant son titre décisif en F3 avec Martin Brundle (qui est apparemment soutenu sur les circuits par une foule de hooligans du football skinhead des années 1980) ne sont pas le genre de chose que vous feriez. probablement dans une sortie au cinéma. Heureusement, ce drame britannique classique de F3 obtient la plate-forme qu’il mérite grâce à Netflix.
Au fur et à mesure que Senna progresse dans sa carrière, l’autorisation complète signifie que les livrées, les kits et les sponsors de l’équipe de F1 sont tout à fait corrects – c’est agréable à regarder, en particulier lors de l’éclaboussure technicolor Benetton/Marlboro/Camel qui était le standard des courses dans les années 90.
Tandis que des chefs d’équipe de poids lourds tels que Ron Dennis et Frank Williams bénéficient de représentations détaillées, les passionnés de sport automobile apercevront des représentations de Gordon Murray, Neil Oatley et d’autres en arrière-plan.
Les voitures de F1 circulant sur piste sont également agréables à découvrir sous forme de cinéma maison, allant de la toute première Toleman TG183B de Senna à la Williams FW16.
De nombreuses scènes de course semblent plus réalistes que celles montrées dans les efforts précédents comme Rush et Le Mans 66, mais on a l’impression dans cette série que plus la voiture est chère, plus elle semble rouler lentement sur la piste.
Au fur et à mesure que l’histoire se fraye un chemin à travers les années 80, la bande-son pop qui l’accompagne devient de plus en plus ringarde et sucrée, culminant avec le thème de la victoire brésilienne. Thème Vitoria.
Une partie du casting est parfaite, tandis qu’ailleurs, c’est un peu capricieux. Keke Rosberg n’est pas exactement le roi du cool dans son portrait ici, mais James Hunt est le charismatique partisan de Senna derrière le micro du commentateur – cigarette à la bouche, verre de rouge à la main.
Il y a une belle réflexion latérale avec des scènes de karting intercalées avec des exploits de F1 par temps pluvieux tandis que la série, comme Drive to Survive, exploite avec élégance beaucoup de ce qui rend le championnat du monde séduisant : des héros courant à 200 mph dans un lieu glamour différent tous les quinze jours, salués par les fans du monde entier.
Il y a un peu plus d’action sur écran vert que ce que l’inconditionnel moyen voudrait endurer, mais telle est l’expérience visuelle pour tout fan de course avec ce genre de titre.
Il est cependant difficile d’ignorer certaines incohérences historiques. Ce qui est indéniable avec Senna, c’est que nous obtenons vraiment une version hagiographique du personnage.
« Cette série donne l’occasion de connaître l’homme derrière le mythe », explique la réalisatrice Julia Rezende dans un reportage en coulisses.
Vraiment ? Nous n’en sommes pas si sûrs. En réalité, cela met l’accent sur les éléments que la famille semble vouloir nous faire croire et évite les parties de sa personnalité qui étaient soit plus difficiles à comprendre, soit tout simplement peu recommandables.
Senna était un individu extrêmement complexe, et la série cherche à passer cela sous silence. Ses idées sur le « bien et le mal » n’étaient pas aussi claires que le film le laisse entendre.
Dans des conversations avec la version romancée de son rival en karting Terry Fullerton, ce dernier glorifie la volonté de Senna de faire un écart dans n’importe quel scénario.
Cela conduisait souvent à des situations dangereuses, laissant ses rivaux choisir de s’écraser ou de concéder la position.
Cela irritait particulièrement son rival Alain Prost, qui commentait dans la vraie vie : « Ayrton a un petit problème, il pense qu’il ne peut pas se tuer, parce qu’il croit en Dieu. »
Mike Doodson, un journaliste proche de Senna dans ses premières années, a écrit dans un article d’archive de 2010 sur le conducteur décrivant ses propres expériences religieuses.
« A Monaco, il a admis [dans l’édition brésilienne de Playboy] qu’il était dans une sorte de transe. En descendant à Portier, il avait vu une lumière briller depuis la mer, qu’il interpréta comme un ordre divin de sacrifier sa course », a déclaré Doodson.
« Il est allé plus loin. À Suzuka, où il a remporté le titre, il a eu une vision du Christ alors qu’il contournait la Spoon Curve lors de son tour d’honneur »..
La série ne fait que vaguement allusion à « Croire en Dieu » et au « Grand homme d’en haut » – la famille ne voulant apparemment pas que le personnage de Senna s’égare dans le fanatisme ou le mysticisme que le véritable homme semblait parfois utiliser pour justifier ses actions.
En ce qui concerne Prost, s’il n’était pas satisfait de sa représentation dans le documentaire Senna, il ne sera guère non plus satisfait de cette représentation. Encore une fois, il est simplement présenté comme le méchant du héros brésilien. Tout va mal d’un côté, tout va bien de l’autre apparemment.
Alors que la série atteint son point culminant tragique, la rumeur du contrôle de traction Benetton est également fortement poussée. Bien sûr, c’est Senna, le personnage qui parle du sujet dans une représentation dramatique, mais on a le sentiment que c’est presque la fixation apparente de la famille qui utilise la série comme porte-parole.
Si vous parvenez à traverser les six épisodes, la finale d’Imola ’94 est déchirante à un certain niveau, mais en même temps, une fin émotionnelle est si inévitable qu’elle est presque banalisée. Il s’agit d’Ayrton Senna “Disneyfié”, et cela laissera certains mal à l’aise.
En fin de compte, Senna, la série Netflix, c’est Rush s’étalant sur six heures, avec moins de blagues (c’est-à-dire aucune). Pouvez-vous tenir la distance ?
====
Bon, l’article de Motorsport est un peu sévère même si, effectivement, ils ont raison sur un certain nombre de points (mais pas sur tous). Commençons par rappeler un élément central : cette série n’est PAS un documentaire !
Si c’est un documentaire que vous voulez sur Senna, ça tombe bien, il y en a également un (plutôt bon d’ailleurs) sur Netflix (et qui s’appelle « Senna », lui aussi !) :
Une série est forcément un peu romancé et même quand elle est réalisée avec soins (c’est le cas ici, suffit de regarder le making-of pour s’en convaincre), elle laisse toujours à désirer si on recherche la plus rigoureuse exactitude dans la reproduction des faits qui, rappelons-le, se sont déroulés il y a plus de trente ans !
La dérive commence par le casting. L’acteur principal (celui qui incarne Senna) se débrouille bien et il ne trahit pas son personnage. Mais il est difficile d’en dire autant des autres : à part l’acteur qui incarne Alain Prost et qui fait un boulot correct (alors qu’il n’avait pas le rôle le plus facile !), les autres ne sont pas trop convaincants parce que, d’abord et avant tout, pas assez ressemblants (sauf l’actrice qui joue Xuxa, incroyablement ressemblante et pour Balestre, super réussi puisqu’il est aussi détestable que le vrai !). Ben oui, ça commence à ce niveau-là, on n’y peut rien. Il ne suffit pas de maquiller lourdement un acteur pour qu’il passe pour Niki Lauda. L’autre aspect important et qui est raté, ce sont les scènes de course. Mais ce n’est pas nouveau : le cinéma peine toujours sur ce plan (le pire étant Le Mans 66 qui est totalement ridicule sur ce point…).
Il n’y a que Le Mans de Steeve McQueen (qui remonte à 1970 !!) qui est réussi sur ce plan et encore, ça se discute. Rappelons tout de même que ce long-métrage est devenu culte tardivement mais a été un flop retentissant à sa sortie. Oui, quand on fait un film qui ressemble à un documentaire tout en n’étant pas un documentaire, on se plante…
Maintenant, abordons ce qui est réussi dans cette série. Car, quelque part, on peut dire que 50% de cette série sont ratés mais, coup de bol, ce sont les bons 50% qui sont réussis… Tout d’abord, l’acteur principal et la série parviennent à bien camper les éléments principaux qui faisaient que Senna avait quelque chose d’unique parmis les pilotes (qui sont pourtant quasiment tous des gens exceptionnels !) : sa détermination et son engagement. Et ça, disons-le, c’est très bien rendu, bravo.
Oui, Senna (le vrai) avait un côté « christique » qui pouvait déplaire mais qui était authentique. On retrouve cela dans cette série et c’est déjà beaucoup.
Est-ce que je recommande de regarder cette série et jusqu’au bout ?
Oui mais en gardant en tête qu’il ne s’agit que de cinéma, de divertissement, de fiction… Dans ce cas, tout va bien, c’est regardable.