Un nouveau récit de fiction : « Les terribles trop »…

Voici un tout nouveau récit de fiction que je publie aujourd’hui sur ce blog en exclusivité. Il va ensuite rejoindre mon recueil « Un auteur à succès« .

J’ai rédigé ce texte sur le ton de la fiction afin d’aborder librement des sujets importants… à vous de juger si, une fois de plus, la réalité dépasse la fiction !

Les terribles trop

Je ne savais rien de cette réunion avant de m’y rendre. J’avais reçu la convocation par email et j’ai demandé à mon patron s’il savait de quoi il s’agissait. Ce dernier m’a répondu que je devais y aller, que c’était important, que N aurait dû s’y rendre, que je devais le remplacer… et voilà. Il m’a tout de même donné un dossier afin que je me documente. Curieux dossier sur tous les plans. D’abord, il était entièrement en papier. Papier non photocopiable, faut-il le préciser ?

À part si ça vient des archives et que ça concerne des affaires anciennes, c’est de plus en plus rare même chez nous !

Le lieu de la réunion aussi était bizarre : il fallait aller à Genève… Je pris l’avion l’après-midi même, sans connaître ma destination finale. La convocation disait qu’il fallait se pointer à l’aéroport de Genève et qu’une “prise en charge” serait assurée  une fois sur place. J’en profitai pour éplucher ce dossier pendant le vol et là encore, j’allai de surprise en surprise : je découvrai l’existence d’épandages (agricoles ?), de missions aériennes classifiées… Quelle était donc cette opération qui semblait de grande ampleur, mais dont les buts et les limites étaient si flous ?

Une fois l’avion posé sur le tarmac, un type se tenait à la porte des arrivées avec mon nom sur un panneau blanc. Je me dirigeai vers lui et il prit ma valise sans dire un mot. Je le suivis satisfait : il avait été bien briefé… chez nous les spéciaux, on n’aimait pas les bavards et moins on en disait, mieux c’était !

Le trajet en voiture fut très bref et j’eus juste le temps de voir un panneau indiquant la ville de “Meyrin” avant qu’on s’arrête devant une maison ordinaire. J’étais de plus en plus dubitatif. La maison semblait n’être qu’un décor; elle abritait un ascenseur qui nous amena loin dans les sous-sols juste derrière les pistes de l’aéroport. Une fois en bas, l’ambiance était très “béton partout”, mais la promenade n’était pas terminée : un petit tour dans un “golf kart” de couleur kaki et nous étions enfin à destination… Une grande salle de réunion souterraine avec un buffet dans un coin où les autres participants sirotaient un café en attendant les derniers arrivants dont je faisais partie.

Finalement, un retardataire nous rejoignit et le signal pour amorcer la réunion fut donné avec la fermeture des grandes portes de ce quasi-blockhaus. Une imposante table en U était installée pour recevoir une bonne vingtaine de participants assis et un pupitre dominait au centre de l’ouverture du U. Tout le monde disposait d’un microphone qu’on pouvait activer avec un bouton rouge. Un assistant distribuait un document (plusieurs pages reliées par agrafeuses), encore du papier, ça semblait être la règle de cette opération mystérieuse…

Un type dans un costume gris prit place au pupitre, la réunion allait enfin commencer, j’allais peut-être finir par en savoir plus. Après les politesses d’usage, le type commença son exposé sans s’être présenté, comme si tout le monde savait qui il était !

Moi, j’étais toujours dans le noir et j’avais hâte qu’on entre dans le vif du sujet afin de comprendre dans quel fourbi mon patron m’avait envoyé… Je me concentrai donc sur le discours du premier orateur.

Chers délégués, nous avons compilé les nombreux rapports des opérations “Blue Sky” de ces dernières années et nous sommes arrivés à des conclusions que nous allons vous exposer maintenant et qui sont en synthèse dans le document A10 qui vient de vous être remis. Tout d’abord, laissez-moi vous dire que ces opérations s’étalent sur de nombreuses années et que presque toutes les nations du groupe NATOwide y ont participé. Nous avons aussi ici présent, à titre d’observateur, un délégué chinois que je salue au passage.

Quelques têtes se tournèrent vers un Asiatique maigre impassible qui flottait dans un uniforme vert olive au col mao caractéristique… L’orateur poursuivit après un bref geste de la main vers ce représentant de la grande nation chinoise.

Tout cela pour vous dire que c’est à une masse considérable de données que nous avons fait face. Nos analyses ont duré des mois. De plus, il a fallu prendre en compte l’évolution inévitable des expérimentations qui ont émaillé les opérations “Blue Sky” et ce depuis le début. Bref, arriver à une conclusion ne fut pas facile et prit bien du temps.

Mais, cette conclusion, nous l’avons et je voudrais vous la présenter sans fard : ça ne marche pas.

La stupeur s’empara de la salle alors que la dernière sentence de l’orateur tombait. Moi, dans mon coin, je ne comprenais toujours rien : qu’est-ce qui “ne marchait pas” dans ces fameuses opérations “Blue Sky” dont je ne savais rien ?

L’orateur, content de son effet, reprit la parole.

Les concepteurs de “Blue Sky” voulaient contrôler le climat à des fins militaires et pensaient que des épandages aériens allaient suffire pour cela. Mais les effets désirés n’étaient pas toujours au rendez-vous. Il y avait aussi des effets secondaires indésirables et pour tout dire, on est resté assez loin d’une réelle maitrise du climat. Tout juste arrivait-on à provoquer une tempête çà et là, mais sans pouvoir la diriger ni l’arrêter. Bref, tous ces essais se révélèrent assez décevants.

J’avais enfin une partie de la réponse : c’était donc cela “Blue Sky”, pouvoir influencer la météo afin d’affaiblir l’adversaire… Intéressant, effectivement. On comprend que les militaires aient voulu peaufiner cette idée. Mais ça ne m’étonne pas qu’ils ne soient pas arrivés à leurs fins. L’orateur fit une longue pause qui présageait une suite délicate.

Cependant, à l’occasion de ces multiples essais, des résultats inattendus se sont manifestés. Et c’est de cela dont je voudrais vous entretenir désormais…

En effet, nous avons constaté que les opérations “Blue Sky” pouvaient aussi avoir une influence sur les comportements des populations. Lors de cette réunion, nous allons pouvoir écouter des présentations de spécialistes qui vont aborder tous ces sujets. C’est donc avec confiance que je laisse la parole au Général M. qui va nous exposer les détails du bilan militaire des opérations “Blue Sky”.

Tiens, un général désormais, rien que cela !

On voit bien qu’on est au milieu de la communauté du renseignement dominée par les militaires qui adorent les grades ronflants… Chez nous, rien de cela : je ne suis que lieutenant et mon patron est major, rien de plus.

Encore une fois, on ne sait pas son nom. Cela me convient, cette atmosphère de secret m’est habituelle. Mais ce qui me dérange, c’est que ce général se comporte comme un technicien autiste… Cette avalanche de chiffres est vraiment soporifique. Et qu’ils aient employé de l’oxyde d’aluminium, ça peut intéresser qui dans cette salle ?

Il semble que je n’étais pas le seul à m’embêter dans l’assemblée. J’observais les uns et les autres commencer à chuchoter entre eux. Apparemment, certains se connaissaient déjà alors que pour moi, tout était nouveau ici.

Au bout d’un moment, un participant se pencha en avant et appuya sur le bouton du microphone afin de prendre la parole…

  • Hum, excusez-moi… Avant de rentrer dans ce genre de détails techniques, ne pourrait-on pas aborder les questions d’ordre général qui n’ont pas encore été traitées ? C’est possible ?

Le général soporifique s’arrêta immédiatement et semblait perdu. Sûrement, on ne devait pas souvent l’interrompre ainsi !

Le premier orateur intervint :

  • Mais certainement. Et quelles sont donc ces questions d’ordre général qui vous préoccupent?
  • Eh bien pour commencer, comment avez-vous fait pour tenir le secret autour de Blue Sky ?

Le premier orateur se leva de son siège pour répondre à cette importante question… En moi-même, je pensais : “ah, on aborde enfin les choses intéressantes !”.

C’est que, justement, nous n’avons pas tenté de garder le secret absolu sur Blue Sky. Les dix premières années ont été tranquilles, mais cela a commencé à changer au début des années quatre-vingt-dix lorsque nous avons intensifié les vols. À partir de là, quelques curieux et quelques activistes se sont mis à parler sur les forums Internet. Nous avons alors lancé nos contre-mesures habituelles de debuking et le terme chemtrails a bien fonctionné. Nous avions même un plan B au cas où nos épandages seraient révélés au grand jour…

Il s’agissait de dire que nous appliquions un plan de géo-ingénierie pour contrer le réchauffement climatique !

Bien entendu, en réaction à cela, toute la salle se mit à rire. Ah, le réchauffement climatique, quelle belle invention médiatique !

Notre invention médiatique en fait… Lorsque nous avons commencé à inonder les médias avec cette fable, nous ne pensions pas que cela nous serait si utile et à ce point aussi largement adopté par tous. Les variations climatiques sont une réalité, il y en a tout le temps. Croire que le climat est stable c’est nier la force des éléments naturels en perpétuel mouvement; c’est comme croire qu’une construction, quelle qu’elle soit, durera toujours.

Les grosses variations récentes et les tempêtes qui les ont accompagnées nous arrangeaient bien pour crédibiliser une tendance au réchauffement due à la main de l’homme. Culpabiliser les petites gens est un ressort qui fonctionne toujours. Je me rendais compte à présent que les aléas et les effets secondaires des opérations Blue Sky y étaient sans doute pour quelque chose dans ces colères du climat… J’en apprenais beaucoup et ça commençait à me plaire.

Mais finalement, nous n’avons pas eu besoin d’être très actifs au niveau de ses contre-mesures. Les lanceurs d’alertes n’ont pas réussi à se faire vraiment entendre avec leurs chemtrails. Il faut dire que nous avons su déclencher de nombreux contre-feux à tous les niveaux durant la décennie 2000. Les retombées du 9/11 ont été formidablement utiles et je constate qu’elles le sont encore aujourd’hui… qui l’aurait cru ?

L’orateur affichait un sourire satisfait. On pourrait penser que toutes ces réussites étaient dues à son seul mérite !

En voilà un qui aime s’écouter parler et qui est très content de lui-même… Il ne ferait pas long feu chez les spéciaux avec un profil pareil. L’orateur se rassit, estimant avoir répondu à la question et, effectivement, tous les autres hochaient la tête en signe de consentement. Le général quitta le pupitre et un autre intervenant lui succéda aussitôt. Le nouveau venu était nettement plus captivant, il savait s’exprimer en public et ce qu’il avait à dire était tout à fait intéressant…

Nous nous sommes aperçus, un peu par hasard dois-je l’avouer, qu’à défaut de contrôler le climat avec efficacité, nous pouvions au moins contrôler les populations… Eh oui Messieurs, nos épandages nous ont permis de mesurer l’effet des tranquillisants diffusés en aérosol en grande quantité et à haute altitude.

Au début, on n’y croyait pas, mais c’est à l’initiative d’un commandant que la solution s’est dessinée. De son propre chef, il remplaça nos composés chimiques habituels par des psychotropes déclassés qui étaient disponibles en grandes quantités suite à une directive de la FDA qui les retirait du marché. Le résultat immédiat fut spectaculaire et nous incita à creuser dans cette direction.

Une fois qu’on a eu la confirmation que ça marchait, on a même pu juguler des situations d’émeutes comme en 1992 à Los Angeles. C’est grâce à nos pulvérisations que le calme est revenu au bout de cinq/six jours. Après cela, on n’a pas arrêté d’utiliser ce moyen à grande échelle, on a même pu adapter les formules afin qu’elles ne soient pas atténuées par la diffusion en altitude. Tous les autres pays du bloc occidental s’y sont mis aussi avec plus ou moins de réussite. Mais, avec le temps, nous avons pu mesurer que le degré d’abrutissement des populations s’accentuait en fonction de nos épandages et que même, cela favorisait l’effet des programmes de télévision qui évoluaient dans ce sens.

De mieux en mieux. Je savais bien évidemment que le contenu des programmes télé glissait progressivement vers la bêtise la plus crasse, à notre initiative. En revanche, j’ignorais que nous avions un allié dans les airs pour faire avaler cette purée à la population… Décidément, j’étais de plus en plus content d’avoir été obligé de venir. Après cette présentation roborative, une pause fut décrétée et chacun put se restaurer autour du buffet où  les conversations allaient bon train…

Profitant de cette interruption, je m’efforçai de capter les sujets des bavardages, moi qui étais sans doute celui qui en savait le moins, à cette réunion où je ne devais pas être. Un thème revenait tout le temps lors des échanges entre les participants : l’opération “Black Curtain”. Je n’avais aucune idée de ce que cela recouvrait, mais j’avais hâte de le découvrir à ce moment-là… si j’avais su !

La réunion reprenait et chacun regagna sa place. Cette fois, pas de présentation, mais un moment où tout le monde pouvait prendre la parole à ce qu’il semblait. Mon voisin de droite appuya sur le bouton de son microphone le premier…

  • Tout cela n’est pas nouveau. Maintenant, ce qu’on voudrait savoir, c’est quand allons-nous passer à l’étape suivante et avec quelle ampleur ?

Vu les nombreux hochements de têtes qui suivirent, à l’évidence, ces questions soulevaient une attente générale. Il était temps d’y répondre. Encore une fois, ce fut l’orateur initial qui se leva afin d’apporter les précisions voulues. Et toujours avec son sourire satisfait, il balayait l’assistance du regard avant de commencer.

Messieurs, savez-vous combien nous sommes actuellement ?

Je veux dire, sur la terre entière, la population mondiale… Eh bien nous sommes entre 7 et 8 milliards, plus proche de 8 que de 7 d’ailleurs. Un chiffre considérable, n’est-ce pas ?

Et qui va encore augmenter et augmenter toujours. De plus en plus vite même !

Pendant que nous y sommes, savez-vous combien il y a de gens obèses parmi ces presque 8 milliards ?

Plus de 700 millions !

Et si on élargit aux gens simplement en “surpoids”, on monte à plus d’un milliard et demi… Oui messieurs, voilà où nous en sommes. Et tout est comme cela. Je peux vous égrener des statistiques à n’en plus finir, mais elles disent toutes la même chose : nous sommes trop nombreux et la qualité moyenne de la population baisse. Nous allons droit vers une masse de gens trop gros et au chômage. Et encore, je ne parle pas de la baisse générale du niveau intellectuel, car là, nous y sommes pour quelque chose…

(sourires entendus et même quelques rires étouffés dans la salle)

Si encore cette masse grouillante et horrible se contentait de passer et de crever sans faire trop de dommages, ça pourrait aller. Mais non, au contraire. Cette masse croissante s’accompagne aussi d’une consommation exponentielle de ressources. Prenons un exemple simple que tout le monde va comprendre, l’eau. En 1960, l’humanité consommait environ 2 000 km3 d’eau par an, contre 4 000 km3 en 2000, soit le double en quarante ans, en seulement quarante ans… Je vous laisse imaginer où on en est aujourd’hui !

Là encore, tout le monde aura compris mon propos, cette population mondiale qui croît sans ralentir et qui dévore tout sur son passage, c’est ce que nous avons appelé “les terribles trop”. Et c’est justement pour mettre fin à cette impasse que nous avons imaginé l’opération “Black Curtain” que je suis autorisé à vous dévoiler ici.

À ces mots, je sentis un frémissement dans la salle : nous y voilà, il va enfin cracher le morceau !

Je connaissais déjà cette notion de “terribles trop” : trop de gens, trop de consommation de ressources. C’était même devenu une blague entre nous, dans les services : pour sauver le peuple, il faut supprimer le peuple !

En revanche, j’ignorais qu’il y avait une opération destinée à résoudre le problème. Inutile de dire combien j’étais attentif en cet instant précis. Je n’étais pas le seul, tout le monde retenait son souffle, on aurait entendu une mouche voler s’il avait pu y en avoir une dans cette salle bétonnée qui donnait dans les couloirs secrets du CERN. Après avoir ménagé une de ces pauses irritantes, monsieur toujours-content-de-lui reprit son discours.

D’une part, nous avons compris que les épandages aériens sont le vecteur que nous attendions pour répandre notre agent sur le monde entier. D’autre part, nous avons fait des progrès gigantesques en matière de guerre bactériologique. Pensez à la peste noire, à la grippe espagnole ou à la fièvre Ebola… Désormais, nous faisons bien mieux. Nos virus sont virulents et mortels. Si nous les diffusons en aérosol à partir de vols classifiés, nous pouvons déclencher une épidémie mondiale en seulement deux semaines. Si nous enrôlons les vols commerciaux, nous pourrons réduire ce délai à cinq jours !

Black Curtain, c’est ça : une épidémie mondiale et foudroyante qui va mettre à genoux au moins les trois quarts de l’humanité en une à deux semaines.

Les questions fusèrent :

  • Qu’est-ce qui vous fait croire à l’efficacité de votre virus ?
  • Quelle sera la cible, qui va mourir en priorité ?
  • Faut-il vraiment mettre le paquet avec ce moyen ?
  • Comment peut-on s’en protéger ?

Messieurs, je vous en prie, un à la fois !

Tout d’abord, nous ne croyons pas à l’efficacité de notre virus, nous le savons efficace. Nous l’avons testé à une échelle réduite et avec une version atténuée. Souvenez-vous du SRAS en 2003… c’était nous !

Bien que très atténué, notre virus s’est révélé d’une virulence incroyable. Pas de doute à avoir là-dessus, notre version complète sera comme un rideau noir qui va tomber soudainement sur l’humanité. Ensuite, j’ai entendu une question sur la cible. Les personnes au système immunitaire affaibli seront les premières servies. Celles-là vont mourir très vite. Et rappelez-vous tous nos efforts précédents pour justement attaquer ce système avec nos campagnes de vaccinations… ça concerne de plus en plus de monde désormais, il s’agit d’en profiter.

J’ai aussi entendu “comment s’en protéger ?”… c’est une bonne question, mais la réponse ne va pas vous plaire : on ne peut pas !

Si on veut vraiment réduire la population mondiale, on ne peut pas se contenter de demi-mesures et compter sur les faibles pour faire de la place aux forts. En pariant là-dessus on va gagner quoi ?

Deux milliards de moins, au mieux !

Cela n’est pas assez messieurs. En faisant retomber la population autour de cinq à six milliards, on n’aura fait que reculer pour mieux sauter. Dans dix ans, on sera face au même problème sans avoir de possibilité de réutiliser ce moyen radical. Non, si nous frappons maintenant, il faut avoir le courage de frapper fort et en profondeur. Il faut éliminer beaucoup de monde si nous voulons revenir à un niveau supportable.

  • Pas moyen de s’en protéger ? Et nous alors ?
  • Deux milliards de moins, je pense que c’est déjà pas mal !
  • Et quel est ce niveau supportable selon vous ?

Le niveau supportable, il est entre 500 millions et un milliard, pas plus. Au-delà, on retombe dans les ornières du passé. Pour vous répondre franchement, il ne faut pas envisager de s’en protéger : Black Curtain va frapper aveuglément et c’est la meilleure garantie de son efficacité !

Si nous avions un antidote ou un moyen de traitement, cela voudrait dire que notre virus n’est pas parfait et que toutes ces années de recherches et d’expérimentations n’ont servi à rien. Pas cette fois. Je peux vous dire que le virus est tellement efficace que nous aurons tout intérêt à le répandre le plus largement possible afin d’éviter des zones de dépeuplement total, même si nous prévoyons de viser les pays du tiers-monde en priorité.

Nous en sommes là messieurs. D’un côté, vous avez l’arme parfaite et le moyen prouvé de la répandre largement. De l’autre, vous avez le devoir d’accepter le prix à payer pour cette efficacité. Presque tout le monde va mourir, ça veut donc dire que vos proches sont concernés aussi, forcément.

  • Et si vous arriviez à tuer vraiment tout le monde, on serait bien avancés !

Non, ça n’arrivera pas. Tous nos tests le prouvent : on trouve toujours des individus qui résistent. Elle est là la beauté du processus : l’humanité qui va passer cette épreuve sera une version rêvée de la population… plus de gros, plus de faibles, plus de malingres ou de souffreteux. L’humanité de demain sera belle, fière et forte.

Essayez donc de me dire qu’un pareil résultat ne vaut pas quelques sacrifices ?

Le concert des questions cessa. On sentait qu’une chape de plomb était tombée sur les présents. On ne s’amusait plus avec des rapports lointains, on décidait du sort de l’humanité désormais !

Et, encore plus angoissant, du sort de toute l’humanité, vraiment tout le monde. Chacun savait qu’il avait une “chance” (une bonne “chance” même si on adhérait à “l’enthousiasme” de l’orateur) d’y rester ou de perdre un proche. Cette fois, personne n’avait le cœur à rire.

Au bout de la table, lentement, un autre responsable en costume sombre se leva et prit la parole. Il s’exprimait avec un ton lent et prenait soin de bien articuler chacune de ses paroles afin de bien se faire comprendre et comme s’il lui était impossible de se répéter.

Bien. Vous connaissez désormais les grandes lignes de l’opération “Black Curtain” et il nous faut maintenant décider. Quand devons-nous l’activer ?

J’insiste bien sur le fait qu’il n’y aura pas de retour possible : une fois lancée, il faudra que l’opération aille jusqu’à son terme et avec toutes ses conséquences. Impossible d’hésiter dans un cas pareil, c’est oui ou c’est non. Et si c’est non, toutes les traces de cette opération doivent disparaître. Qu’on me comprenne bien, quand je dis “toutes les traces”, ça veut bien dire toutes les traces, sans aucune exception…

Je savais bien reconnaître ce genre de menace voilée. Voilà que ce responsable vient de mettre les points sur les i… “toutes les traces”, ça veut dire nous pardi !

De quoi motiver les indécis, sans nul doute !

Le choix se présentait ainsi : soit on lançait “Black Curtain” et on avait une chance d’y passer ou alors, on renonçait à l’opération, mais on (nous tous ici présents) ne sortait jamais d’ici… Très, très clair !

Bien entendu, ça donnait à réfléchir. Je ne connaissais pas les autres délégués, mais je me doutais que tous avaient compris le message. Dans le milieu du renseignement et des services spéciaux, nous sommes habitués à lire entre les lignes et à comprendre à demi-mot. Je voyais les participants les moins endurcis piquer du nez, complètement abattus par le dilemme et ses perspectives… Mais je sentais bien que la salle était en train d’accepter “Black Curtain”. Cela me convenait au final. Incurable optimiste comme je l’étais, je voyais déjà l’incroyable coup de balai que cette opération mortelle allait donner dans les rangs des spéciaux. Bientôt, très bientôt, moi le lieutenant Rouyer, j’allais monter en grade et devenir le major Rouyer.

Ce contenu a été publié dans La terrible vérité, Mes livres. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Un nouveau récit de fiction : « Les terribles trop »…

  1. Emilie dit :

    J´adore … ça pourrait tellement être la réalité … après tout, que sait-on vraiment de la réalité ? Les médias nous enfument tous les jours…

Laisser un commentaire